
Plus les fêtes approchent, plus Sandra sent une boule se former dans son estomac. Elle sait déjà comment cela va se passer :
- on parlera de la grossesse toute fraîche de sa cousine,
- on s’extasiera sur les prénoms,
- sur les premiers symptômes,
- sur les projets pour l’année prochaine…
mais personne ne parlera de sa grossesse à elle.
Celle qui s’est arrêtée trop tôt.
Elle sait aussi qu’on lui dira de sourire, de « profiter de la magie de Noël ». Qu’on lui glissera, avec bienveillance mais maladresse, que « 2026 sera la bonne, tu verras ». Et Sandra s’y prépare déjà : faire bonne figure, ravaler sa peine, s’excuser intérieurement d’être encore touchée par ce qui, pour les autres, semble appartenir au passé.
Ce décalage profond — entre ce qu’elle vit et ce que le monde attend d’elle — fait des fêtes un moment particulièrement difficile pour les parents endeuillés.
Pourquoi les fêtes intensifient la douleur après une fausse couche, une IMG ou le décès d’un bébé
La pression sociale d’être « joyeux » pendant les fêtes
Les fêtes imposent un rythme et une ambiance bien particulière : lumières chaleureuses, repas animés, musique douce, injonction à « profiter ». Pour un parent endeuillé, cette atmosphère crée un décalage immense entre ce que le monde attend et ce qu’il ressent. On lui demande d’être souriant, d’entrer dans la magie de Noël… Alors qu’il peine à prendre du plaisir à quoi que ce soit. Voire à retenir ses larmes. Cette pression sociale peut amplifier la douleur. Elle fait naître un sentiment d’illégitimité, comme si la tristesse n’avait pas sa place en décembre.
Le contraste émotionnel : quand l’absence devient plus visible
Les fêtes sont des moments où tout le monde se rassemble. Et chaque détail rappelle ce qui manque : une assiette qui aurait dû être là, un cadeau qui n’existe pas, un prénom qu’on ne prononcera pas. Les rituels familiaux – décorer le sapin, préparer le repas, réfléchir aux photos de fin d’année – deviennent autant de déclencheurs de chagrin. L’absence prend plus de place parce que, dans ces moments symboliques, on mesure souvent ce que la vie aurait dû être.
Le poids des réunions familiales et des maladresses
Être entourée ne signifie pas être comprise. Pendant les fêtes, les maladresses fusent souvent : phrases qui minimisent, silences gênés, tentatives de rassurer qui blessent plus qu’elles n’apaisent.
« Il valait mieux maintenant que plus tard », « C’est qu’il y avait un souci », « C’est mieux comme ça », « Tu en auras d’autres », « C’est pour quand le bébé ? », « Toujours pas enceinte ? », « Ça se passera mieux la prochaine fois », « 2026 sera la bonne année ! ».
Beaucoup de mamans endeuillées finissent par se suradapter, par jouer un rôle pour ne pas « plomber l’ambiance ». Elles sourient quand elles aimeraient pleurer, elles participent quand elles aimeraient s’éclipser. Cette pression relationnelle renforce la fatigue émotionnelle déjà bien présente.
L’hypersensibilité aux déclencheurs pendant les fêtes
Les fêtes regorgent de déclencheurs émotionnels : annonces de grossesse autour de la table, bébés dans les bras des proches, publicités montrant des familles parfaites, chants traditionnels qui réactivent des souvenirs. Pour un parent ayant perdu un bébé, chaque image peut faire remonter une vague de douleur. Cette hypersensibilité est normale : elle est le témoin d’un lien profond et d’une blessure encore vive, pas d’une fragilité excessive.
Le ralentissement de fin d’année : quand l’émotion remonte
À la fin de l’année, tout ralentit : moins de travail, plus de moments calmes, davantage de temps pour se retrouver face à soi-même. Ce ralentissement ouvre souvent la porte à des émotions mises de côté pendant des semaines. S’ajoutent parfois des dates symboliques : date prévue d’accouchement, date de la perte, souvenirs précis de l’annonce. Le corps et le cœur se souviennent, même si l’entourage, lui, semble avoir oublié.
Les mécanismes psychologiques et émotionnels en jeu
La mémoire traumatique qui se réactive
Les fêtes réactivent souvent non pas la scène de la perte en elle-même, mais d’abord tout ce que la personne s’était imaginé vivre. Les images projetées reviennent : un bébé dans les bras, une place de plus à table, une première photo sous le sapin, des traditions qu’elle rêvait de partager. Ce contraste entre ce qui aurait dû être et ce qui est réellement ramène brutalement à la douleur.
Viennent ensuite les souvenirs plus précis : l’annonce de la grossesse, la date d’un examen, un moment clé, une date anniversaire. Le cerveau associe alors spontanément fêtes → souvenirs ou projections → perte → douleur. Ces réactions automatiques ne sont pas un choix : elles se déclenchent lorsqu’un élément fait écho à l’histoire qui a bouleversé leur vie.
Il ne s’agit ni d’un choix ni d’un manque de volonté. C’est simplement la marque d’une blessure encore vive, réveillée chaque fois que quelque chose fait écho à ce qui s’est passé ou à ce qui aurait dû se passer.
Le sentiment d’isolement renforcé
Autour d’elle, les autres sourient, trinquent, parlent de projets. Et elle se sent ailleurs. L’écart entre son vécu intérieur et ce que l’entourage perçoit crée une solitude profonde, même en étant entourée. Le manque de reconnaissance du deuil — surtout après une fausse couche ou un arrêt de grossesse précoce — renforce cette impression de vivre quelque chose que personne ne voit vraiment. Cet isolement émotionnel alourdit la douleur et peut raviver des sentiments d’injustice ou d’abandon.
La culpabilité et la comparaison sociale
Pendant les fêtes, tout semble tourner autour de la famille, de la joie, du partage. Pour une personne endeuillée, cette ambiance peut réveiller une culpabilité diffuse : « Je devrais aller mieux », « Je gâche l’ambiance », « Je devrais être capable de me réjouir pour les autres », « Je devrais être capable de mener une grossesse à terme moi aussi ». Voir les autres familles rire autour de la table, observer un ventre rond ou un bébé dans les bras d’un proche peut aussi faire émerger des pensées douloureuses : pourquoi elles, pourquoi pas moi. Cette comparaison n’est pas un choix : c’est une réaction normale lorsque le manque se fait sentir dans chaque détail.
Comment mieux traverser les fêtes après une perte
Se donner la permission d’aménager les fêtes
Aménager les fêtes, ce n’est pas renoncer : c’est se protéger. Après une perte, l’idée de participer à tous les repas, à toutes les traditions, à toutes les conversations peut sembler insurmontable. Se donner la permission de choisir ce qui est supportable c’est prendre soin de soi-même. Dire non à une invitation, arriver plus tard, partir plus tôt, ou décider de ne participer qu’à un moment précis peut déjà alléger la charge émotionnelle. Ce n’est pas fuir : c’est s’autoriser à exister dans l’état où l’on est vraiment.
Créer un espace pour son bébé
Donner une place symbolique à son bébé peut transformer la manière de traverser les fêtes. Une étoile accrochée dans le sapin, une bougie allumée avant le repas, une lettre déposée près d’une décoration… Ces gestes simples rappellent que son histoire compte. Ils apaisent parce qu’ils reconnaissent le lien, sans forcer la personne à en parler si elle n’en a pas l’élan. Beaucoup trouvent dans ces rituels une forme de douceur et de continuité, une façon de ne pas laisser décembre effacer ce qui a été vécu.
Protéger son énergie émotionnelle
Les fêtes demandent une énergie immense. Après une perte, cette énergie est fragile et précieuse. Identifier les situations déclenchantes — une annonce de grossesse, une question intrusive, un moment de foule — permet d’anticiper. Préparer quelques phrases de secours, comme « Je préfère ne pas en parler aujourd’hui » ou « Je vais prendre un peu l’air », donne des appuis concrets pour se préserver. S’autoriser des pauses, même courtes, peut éviter la submersion émotionnelle.
S’entourer et demander du soutien
Personne ne devrait traverser cette période seule. S’appuyer sur une personne de confiance — un partenaire, une sœur, une amie — peut aider à se sentir moins vulnérable. Parfois, il est nécessaire de trouver un espace extérieur à la famille : un professionnel formé au deuil périnatal, ou une communauté de parents qui vivent la même chose. Être entourée ne fait pas disparaître la douleur, mais rend le chemin moins lourd.
Pour conclure : traverser les fêtes avec douceur
Traverser les fêtes après une perte est éprouvant, parce que cette période rend l’absence plus visible, les souvenirs plus vifs et les émotions plus imprévisibles. Pourtant, il existe des manières de vivre ce passage avec un peu plus de douceur : en se protégeant, en anticipant les difficultés, en se priorisant, en faisant une place à son bébé en douceur, en cherchant du soutien.
Personne n’a à affronter cela seule. Et si tu sens que décembre réactive davantage que tu ne peux porter, tu mérites de trouver le soutien dont tu as besoin. Réserve un premier échange, il est gratuit et sans engagement. Ce premier contact te permettra de poser ce que tu vis, comprendre ce dont tu as réellement besoin et découvrir comment je peux t’accompagner dans cette période. C’est un premier pas concret pour ne plus avancer seule.