
Quand Élodie a croisé le regard de Camille ce matin-là, elle a hésité. Elles s’étaient perdues de vue depuis plusieurs mois, depuis ce jour où Camille avait annoncé la perte de son bébé. Les mots d’Élodie étaient restés coincés quelque part entre la gorge et le cœur. A présent, elle ne savait plus quoi dire, ni comment. Devait-elle en parler ? Faire comme si de rien n’était ?
Soutenir une amie, une sœur ou une collègue qui traverse un deuil périnatal, c’est souvent un défi. On veut bien faire, mais la peur de dire une bêtise ou de raviver la douleur nous paralyse. Pourtant, il existe une autre voie : celle de l’écoute et des petits gestes sincères. Cet article t’invite à découvrir comment être là, simplement, sans maladresse ni injonction — juste avec le cœur.
Et si le vrai soutien commençait par l’écoute ?
Oublier les phrases toutes faites
On les prononce souvent avec bienveillance, pour rassurer : « Tu es jeune, tu en auras d’autres », « Le temps guérit toutes les blessures », « C’est la nature qui fait le tri, c’est sûrement mieux ainsi ». Pourtant, ces phrases ne consolent pas. Elles minimisent la douleur vécue et dresse un mur entre les parents endeuillés et la personne qui les prononcent.
Le deuil périnatal n’a rien d’une simple épreuve à « dépasser » — c’est une histoire d’amour interrompue. Ce que la personne endeuillée attend, c’est qu’on reconnaisse cette perte, qu’on légitime son chagrin, même s’il nous met mal à l’aise.
L’art d’écouter sans vouloir consoler
Écouter, ce n’est pas chercher à apaiser à tout prix. C’est offrir une présence stable, un espace où la parole peut se déposer sans être interrompue. Parfois, un simple « je t’écoute » ou un regard sincère suffit. L’important, c’est de ne pas combler le silence : c’est souvent là, dans ce vide partagé, que naît la confiance.
Une écoute véritable passe aussi par la reformulation : redire avec ses propres mots ce que l’autre vient d’exprimer, pour lui montrer qu’on a entendu, compris, et accueilli. Cela permet à la personne endeuillée de se sentir reconnue dans ce qu’elle vit, sans que l’on projette nos propres émotions ou notre besoin de « réparer ».
Accepter de ne pas avoir de réponse, mais de rester là, attentif et ouvert, c’est déjà un immense acte de soutien — un acte profondément humain.—
Comprendre sans deviner : le piège des suppositions
Il est tentant de croire qu’on sait ce que vit l’autre, surtout lorsqu’on a soi-même traversé une épreuve similaire. Pourtant, le deuil périnatal ne se vit jamais de la même façon. Chaque histoire, chaque émotion, chaque temporalité est unique. Vouloir deviner, c’est risquer de plaquer notre expérience sur la sienne — et de passer à côté de ce qu’elle ressent vraiment.
L’accord toltèque « ne fais pas de supposition » appliqué au deuil
Cet accord invite à la curiosité bienveillante : ne présume pas de ce que l’autre pense, ressent ou souhaite. Ne dis pas « elle doit aller mieux maintenant » ou « elle ne veut sûrement pas en parler ». Demande-lui simplement. C’est en lui laissant le choix de partager, ou non, que tu lui offres le plus grand soutien.
Tu peux demander : « Comment ça va en ce moment ? Je suis là si tu veux en parler. » Cette phrase ouvre la porte sans imposer, et montre que tu es prêt·e à écouter sans juger.
Oser la différence : chaque deuil, un chemin singulier
Ce qui soulage l’une peut heurter l’autre. Certaines personnes trouvent du réconfort dans le partage, d’autres préfèrent le silence. Certaines ont besoin d’objets souvenirs, d’autres ne veulent rien garder.
Le piège des suppositions, c’est aussi celui des comparaisons : « Moi aussi j’ai perdu quelqu’un », « Ma cousine a vécu la même chose », ou « pire ! » Ces phrases, même bien intentionnées, recentrent la conversation sur soi et ferment l’espace de parole.
En posant des questions sur son vécu, ses besoins, ses émotions, on sort de la peur de mal faire pour entrer dans une connexion avec la personne. « Comment tu vis les choses, toi ? », « Qu’est-ce qui te ferait du bien aujourd’hui ? »
Des gestes concrets pour montrer sa présence
Si tu n’es pas à l’aise avec les mots et encore moins avec les émotions, rassure toi : les gestes parlent parfois plus fort encore. Des petites choses, simples et sincères, qui disent : je pense à toi, je ne t’oublie pas.
Le livre Dans ces moments-là : une mine d’idées utiles
Ce livre est une véritable boîte à outils pour ceux qui veulent aider sans craindre de mal faire. Il propose plus de 130 idées concrètes pour accompagner les familles touchées par un deuil périnatal : gestes de soutien, attentions délicates, façons de parler du bébé ou de marquer sa mémoire.
Tu y trouveras des suggestions simples et humaines : écrire un mot, offrir un repas, proposer un temps dehors, allumer une bougie, créer un rituel symbolique… autant de petites attentions qui montrent que le lien demeure, même quand les mots manquent.
Quand les petites attentions changent tout
Un message envoyé sans attendre de réponse. Un café déposé devant la porte. Une carte glissée dans la boîte aux lettres. Ce sont souvent ces gestes-là, discrets mais sincères, qui marquent durablement. Ils ne cherchent pas à consoler : ils rappellent simplement que la personne n’est pas seule.
Et si tu doutes de ce qui ferait du bien, demande-le : « Est-ce que tu préfères que je passe t’aider ou que je te laisse tranquille aujourd’hui ? »
Car le vrai soutien, c’est avant tout l’adaptabilité — savoir se rendre disponible selon le rythme et les besoins de l’autre.
Oser parler du deuil, pas seulement des vacances
Parler du deuil, ce n’est pas raviver la douleur : c’est reconnaître l’histoire de celui ou celle qui la traverse. Dans notre société, nous savons commenter les bons moments — les vacances, les réussites, les anniversaires — mais dès qu’il s’agit de souffrance, le silence s’installe. Pourtant, ignorer la peine, c’est souvent isoler encore un peu plus celui qui la porte.
La différence entre un collègue « fatigué » et un collègue « en souffrance »
On prend facilement des nouvelles d’un collègue qui revient d’un voyage ou qui a eu une grippe, mais beaucoup hésitent à aller vers celui qui traverse un deuil ou une dépression. Ce décalage montre à quel point la douleur émotionnelle reste taboue. Pourtant, les blessures invisibles existent tout autant que celles du corps.
Tu peux simplement dire : « Je pense à toi. » Ces mots n’ont rien d’intrusif : ils ouvrent une porte. Et même si la personne n’en profite pas tout de suite, elle saura qu’elle peut le faire quand elle en aura besoin.
Redonner sa place à la vulnérabilité
Parler du deuil, c’est aussi accepter d’être un peu mal à l’aise. C’est reconnaître que certaines douleurs nous dépassent et qu’on ne détient pas toujours les bons mots. Mais cette sincérité crée du lien : elle montre que tu n’as pas peur d’être présent même quand c’est difficile.
La vulnérabilité partagée, c’est celle qui dit : « Je ne sais pas quoi dire, mais je suis là. » Et c’est souvent cette phrase, simple et vraie, qui touche le plus. Oser la prononcer, c’est déjà participer à briser le tabou du deuil — et à ramener un peu d’authenticité dans les conversations du quotidien.
Quand l’impuissance s’installe : demander le soutien d’un professionnel
Face à la souffrance d’un proche, il est normal de se sentir démuni. On voudrait pouvoir apaiser, mais les mots semblent insuffisants et chaque geste paraît trop petit. Pourtant, reconnaître cette impuissance, c’est déjà une preuve d’amour et d’attachement. Cela signifie que l’on tient assez à la personne pour vouloir bien faire, même sans savoir comment.
Quand le chagrin de l’autre devient trop lourd à porter seul, il est important de savoir s’entourer. Encourager son amie, sa sœur ou sa collègue à chercher de l’aide auprès d’un professionnel spécialisé, c’est une forme de bienveillance. C’est lui dire : « Tu n’as pas à traverser cela toute seule. »
Mais parfois, la personne en souffrance n’a plus l’énergie, ni la force de chercher par elle-même un professionnel adapté. Dans ces moments-là, le proche peut jouer un rôle précieux : aider à repérer des ressources locales, proposer des contacts, ou simplement faire les premières recherches. Ce petit pas, fait avec le cœur, peut tout changer.
C’est là que mon rôle de doula spécialisée dans le deuil périnatal prend tout son sens : offrir un espace de parole sécurisant, un accompagnement qui prend soin du cœur et du corps, à son rythme. Parce que parfois, la meilleure façon d’aider, c’est de relayer le flambeau vers quelqu’un qui saura écouter autrement.
Soutenir, c’est avant tout garder le lien
Soutenir une amie en deuil périnatal, ce n’est pas trouver les bons mots ni savoir quoi faire à tout prix. C’est oser rester en lien, même quand le silence pèse. Être là, simplement, avec respect et sincérité, c’est déjà offrir un espace où la vie peut doucement reprendre sa place.
Tout au long de cet article, on a vu qu’il n’existe pas de formule magique : juste des gestes, des mots vrais, des présences attentives. Chaque intention compte, dès lors qu’elle vient du cœur.
Mais le lien d’amitié ou de soutien ne se limite pas aux premiers jours. Le deuil est un chemin long, parfois imprévisible, qui se compte en mois plutôt qu’en semaines. Au début, on propose souvent des sorties, des cafés, des moments pour changer les idées, puis peu à peu, on s’éloigne. Soit parce que la personne refuse toujours, soit parce qu’on croit qu’elle va mieux. Pourtant, c’est parfois bien plus tard, qu’elle aura enfin la force de dire « oui ».
Aider, c’est aussi continuer à tendre la main, même quand le temps passe et que les autres n’en parlent plus. Parce qu’en restant présents, patients et constants, c’est une autre forme de bienveillance que nous faisons grandir : celle qui traverse les saisons du deuil.